Végé et mal aimé
Explorer la critique des viandes végétales et répondre aux préoccupations les plus répandues
L’essor et le déclin du marché de la viande végétale
Aujourd’hui, il est bien plus facile de trouver des substituts de viande qu’au début des années 2000, que ce soit en supermarché, au restaurant ou dans les chaînes de fast-food. Après l'élan donné par des entreprises comme Beyond Meat (qui s'est introduite en bourse avec l'un des plus grands succès des années 2010) et Impossible Foods (qui a conclu des accords avec Burger King et Starbucks en 2019), l'industrie de la viande d'origine végétale s'est considérablement développée, avec de plus en plus d'entreprises cherchant à saisir une opportunité de marché. À l'échelle mondiale, environ 400 alternatives de viande végétale ont été développées par plus de 600 entreprises différentes depuis 2015.
Il suffit de se balader dans les rayons de produits surgelés ou végétariens au supermarché, et vous trouverez des substituts de viande allant des blancs de poulet aux hamburgers en passant par les boulettes de viande, les saucisses et plus encore. Si cette “surabondance de choix” peut compliquer la prise de décision, l’essor des viandes végétales sur le marché reste, pour les consommateurs, avantageux, puisqu’il leur offre des alternatives aux protéines végétales plus classiques comme le tofu, le tempeh ou le seitan. C'est d’autant plus important pour les personnes carnivores qui cherchent des produits tentant de reproduire le goût, la texture et la fonctionnalité de produits carnés conventionnels.
Malgré cette offre grandissante, l'industrie de la viande d'origine végétale ne parvient pas à maintenir une croissance constante de ses ventes. Après une expansion rapide du secteur entre 2019 et 2021, les ventes se sont stabilisées en 2022, puis ont chuté en 2023 et 2024. Au cours des deux dernières années aux États Unis, les ventes de viande de substitution ont diminué de 18%, passant de 1,43 milliard de dollars US à 1,17 milliard de dollars US, et les ventes unitaires ont diminué de 28%, passant de 270 millions d'unités à 195 millions d'unités. Cela pose la question: pourquoi le marché de viande végétale est-il au point mort après un tel essor, alimenté par l'innovation et l'augmentation des investissements pendant près de 2 ans?
Préoccupations sur le prix, la saveur et les ingrédients transformés
Selon un sondage réalisé en 2021, près de 82% des consommateurs estiment que le facteur le plus influent lors de l'achat d'un produit est le goût, suivi du coût (66%), de la santé (58%), de la praticité (52%) et, enfin de l’impact environnemental (31%). Parmi ces critères, les études de marché indiquent clairement que ce sont surtout le goût, le prix et les craintes liées à l’aspect ultra-transformé des viandes végétales qui déterminent la décision d’achat.
Un goût désagréable ou inattendu reste un frein majeur à l’adoption de ces produits de substitution, et encore aujourd’hui, de nombreux produits de viande végétale déçoivent les consommateurs sur le plan gustatif. D’autres facteurs, tels que la couleur ou la texture, influencent également le choix du consommateur; la couleur étant un aspect crucial des produits carnés puisqu’elle traduit leur fraîcheur et leur qualité. Or, de nombreuses alternatives végétales affichent un gris peu appétissant, loin de la teinte rouge vif de la viande animale. Malgré les avancées permises par la betterave rouge pour colorer naturellement ces produits, la plupart des viandes végétales peinent encore à reproduire la teinte de la chair crue ou cuite. Leur texture pose un autre défi, car l’effet fibreux obtenu diffère largement de celui de la viande animale, et de nombreux substituts initialement développés ont donc été ignorés par les consommateurs.
De plus, ces alternatives végétales restent plus chères que la viande animale, ce qui freine leur développement. En général, elles coûtent deux à quatre fois plus chère par livre (soit 0.45kg), et les prix moyens de ces produits ont augmenté de 13% en deux ans, alors que ceux de la viande classique n’ont grimpé que de 4%. En 2024, le surcoût moyen pour la viande végétale était de 82% par livre. Avec cette différence de prix, surtout en période d’inflation, il n’est pas étonnant que ces produits peinent à se faire une place dans le panier des consommateurs.
Enfin, ces protéines végétales sont perçues comme des aliments transformés voire ultra-transformés et donc jugés peu sains. Certaines marques n’utilisent aucun ingrédient identifiable, se contentant d’un mélange d’amidons, de gommes, de farine, de protéines et d’arômes, ce qui tend à laisser les consommateurs méfiants. Or, dans un contexte où la santé et le bien-être priment, un produit perçu comme transformé peine à convaincre.
Ces préoccupations sont-elles réellement justifiées?
Bien que ces inquiétudes des consommateurs soient légitimes, il est pertinent de les analyser plus en profondeur, car elles ne reflètent pas forcément toute la réalité.
Saveur et texture
En matière de saveur, les entreprises innovent sans cesse en testant de nouveaux ingrédients. Ces dernières années, le mycélium, les fèves et les lentilles ont progressivement supplanté des sources plus classiques comme le soja. Par exemple, Beyond Meat a récemment modifié la recette de son burger en remplaçant le soja par des protéines de pois jaunes et de riz brun. Des entreprises comme Meati ont amélioré la texture de ses produits grâce au mycélium de Neurospora crassa, dont la structure filamenteuse se rapproche de celle de la viande animale.
De plus, en 2024, la plus grande étude sensorielle publique sur les alternatives végétales a révélé que les nuggets de poulet végétal sont fortement appréciés et sont gustativement comparables à ceux des nuggets de poulet classiques– la marque végétale la mieux notée étant même préférée pour sa saveur. Si la majorité des substituts de viande ont encore une marge de progression pour séduire les consommateurs, ces résultats montrent ce qu’il est possible de faire avec davantage de R&D.
Santé et nutrition
Sur le plan nutritionnel, il convient également d'examiner dans quelle mesure ces produits sont “transformés” et “peu sains”. Comme il n'existe pas de définition unique et universellement acceptée des aliments ultra-transformés (UPFs), nous utilisons le cadre NOVA, qui classe les UPFs comme étant:
Fabriqués avec de nombreux ingrédients et de multiples étapes de transformation qui ne peuvent être reproduites dans une cuisine
Souvent riches en sel, en sucre et en matières grasses, pauvres en fibres et riches en calories
Généralement pratiques, rapides à préparer, bon marché, savoureux et souvent vendus dans des emballages en plastique.
Contrairement aux “burger” de lentilles ou aux “nuggets” de chou-fleur, les substituts de viande tels que Beyond Meat, Impossible Foods, Meati ou encore La Vie ne peuvent pas être facilement reproduits à la maison, sont pratiques à cuisiner et sont tous vendus dans des emballages en plastique. Cependant, ces produits ont un profil nutritionnel légèrement différent de celui des viandes transformées classiques.
Ces exemples ne constituent qu’une fraction des nombreux produits, qu’ils soient d’origine végétale ou animale, disponibles sur le marché, et leurs listes d’ingrédients peuvent varier d'un pays à l'autre. Toutefois, le constat est simple: les viandes végétales affichent généralement un profil nutritionnel comparable à celui des viandes classiques (même teneur en protéines, gymbros!). En moyenne, elles contiennent moins de graisses saturées et plus de fibres alimentaires (qu’on ne retrouve pas dans la viande), même si leur taux de sodium est souvent légèrement supérieur à celui de leurs homologues classiques.
De nombreuses études ont par ailleurs démontré les risques associés à la consommation de viande, particulièrement de viande rouge, et remplacer sa consommation par des alternatives végétales peut avoir de nombreux bénéfices sur la santé, notamment améliorer les risques cardiovasculaires et réduire les niveaux de cholesterol LDL (souvent appelé “mauvais” cholestérol).
Certes, ces produits restent transformés, et il n’est probablement pas recommandé d’en consommer tous les jours–de même pour la viande transformée. En revanche, ils ont le potentiel de “contribuer à réduire la surconsommation généralisée de viande transformée sans nécessiter de changements comportementaux majeurs”. En d'autres termes, ils constituent un moyen facile d'initier les carnivores à des alternatives plus saines.
-
La première étape de la fabrication de la viande végétale consiste à transformer de la farine végétale (généralement de soja, de pois ou de blé) en une poudre riche en protéines (à ≥ 80 % de protéines) grâce à ce qu’on appelle le fractionnement humide ou sec. Cette poudre de protéines est ensuite mélangée à un peu d’eau et de matière grasse végétale (comme de l’huile de coco ou de canola) puis poussée dans un extrudeur, une machine qui chauffe et comprime le mélange. Sous l’effet de la chaleur et de la pression, les protéines s’alignent en longues fibres qui rappellent celles de la viande. Lorsque la préparation sort de l’extrudeur, elle est refroidie pour fixer cette texture fibreuse, puis séchée pour obtenir de la protéine végétale texturée (PVT).
Ensuite, la PVT est réhydratée avec de l’eau chaude ou du bouillon, puis mélangée à de l’huile, de l’amidon et un liant (tel que la méthylcellulose) pour former une pâte collante. On y ajoute des arômes (comme des extraits de levure ou des épices) et des colorants (généralement du jus de betterave ou de l’hème d’origine végétale). La PVT hydratée est alors découpée ou effilochée selon la taille souhaitée (galettes, nuggets, boulettes ou saucisses). Les morceaux sont parfois cuits pour solidifier leur texture, et peuvent être soumis à des traitements supplémentaires, comme une exposition aux UV pour prolonger leur durée de conservation. Enfin, les produits sont emballés et envoyés dans votre supermarché préféré!
Climat et environnement
Au-delà de ses bénéfices pour la santé publique, la viande végétale offre également d’importants avantages pour le climat et l’environnement. Comme le savent nos lecteurs réguliers, la production de viande classique contribue fortement au changement climatique (nous avons fait une analyse approfondie des impacts de la viande et des produits laitiers ici). En bref, les produits carnés ont une empreinte climatique plus importante que les légumineuses, les céréales et le mycélium, qui sont à la base de nombreux substituts. Tout comme les différentes viandes ont des valeurs nutritionnelles différentes, elles ont également des impacts climatiques et environnementaux différents, comme le montre ce graphique:
Des améliorations possibles
Même si certaines des préoccupations soulevées ne sont pas totalement justifiées, nous sommes d’accord pour dire que des améliorations sont encore possibles. Comme mentionné plus tôt, les alternatives végétales sont en moyenne plus chères que la viande conventionnelle. Ce n’est pas simplement dû aux différences de coûts de production, mais également au fait que la viande est devenue assez peu chère. Dans de nombreux pays, l’industrie de la viande est fortement subventionnée (via des paiements directs ou l'assurance des récoltes), de même pour l'alimentation du bétail (principalement le soja et le maïs), ce qui fait indirectement baisser le coût de l'élevage et donc celui de la production de viande. Les prix de la viande au détail ne tiennent pas non plus compte des externalités environnementales et sanitaires, mais s'ils le faisaient, ils seraient certainement plus élevés et refléteraient ainsi le “coût réel” de la viande.
Une solution pourrait être de réorienter les subventions vers les producteurs de viande végétale, bien que les conséquences de telles réformes soient incertaines. Cela dit, si l’approvisionnement en protéines innovantes telles que le mycélium ou les fèves était moins élevé, les coûts diminueraient. En réalité, tout est une question d'économie d'échelle et d'optimisation: atteindre une efficacité opérationnelle prend des années, et l'industrie de la viande a plusieurs décennies d’avance. À mesure que la quantité produite augmentera, les entreprises gagneront en efficacité.
Toujours est-il que des progrès continuent à être fait, et nous sommes optimistes pour le futur du marché de la viande végétale. Que vous soyez un vegan/végétarien convaincu ou que vous cherchiez simplement à incorporer des options végétales à vos repas, voici quelques suggestions de produits que nous avons testé et aimé, et qui, selon nous, valent la peine d'être goûtés: