Entre goût et qualité: les aliments de l’UE sont-ils vraiment meilleurs?

Regard sur les différences de goût et de qualité des aliments entre l’UE et les États-Unis, et ce qui pourrait les expliquer

Alex

Chaque année, j’ai le sentiment de connaître quelqu’un qui est parti en vacances en Europe et qui, en rentrant aux États-Unis, ne peut s'empêcher de vanter la fraîcheur et la saveur de la nourriture de l’autre côté de l’Atlantique. Les plats sont immortalisés dans une floppé de “story” instagram qui ont l'air trop belles pour être vraies. Qu'il s'agisse de pâtes cacio e pepe dégustées en Italie, d’une montagne de pâtisseries françaises ou de la paella bien chaude dévorée en Espagne, la qualité de la nourriture en Europe est constamment vantée. J'ai même entendu des amis intolérants au gluten dire qu'ils avaient pu manger des produits à base de blé en Europe sans (trop de) problème.

Ayant vécu aux États Unis la plus grande partie de ma vie (merci le Brexit!), j’ai toujours été intrigué par ces histoires. La nourriture en Europe (aka l’Union-Européenne) est-elle vraiment meilleure, au point d’atténuer certaines intolérances alimentaires? Heureusement pour moi, la co-autrice de Who Wants Seconds a passé beaucoup de temps des deux côtés de l’Atlantique. Margaux, qu’en penses-tu? Y a-t-il une réelle différence dans la qualité de la nourriture? 


Margaux

En arrivant aux États Unis, j’ai commencé à faire beaucoup plus attention à ce que je mettais dans mon assiette: j’avais l’impression que la nourriture était de moins bonne qualité qu’au Québec (et en Europe), et ça me stressait. Pendant mes deux premières années, j’ai fait mes courses chez Trader Joe’s* – budget étudiant oblige. Mais je me suis vite mise à me méfier des étiquettes, surtout quand autant de produits labellisés « bio » étaient étonnamment abordables. Comment les deux pouvaient être vrais? Quelque chose ne collait pas.

Ce n’est que récemment, après avoir obtenu un emploi à temps plein, que j’ai commencé à faire quasi toutes mes courses chez Whole Foods**. J’ai noté certaines différences, notamment pour les fruits et légumes frais. Mais je reste prudente: j’ai développé une petite obsession pour la vérification des listes d’ingrédients. Si on me demande, je trouve que la nourriture est meilleure quand je rentre en France. Mais cette impression est-elle fondée scientifiquement, ou simplement dû au fait que je suis généralement en vacances quand j’y suis et prête peu attention aux courses? Ces produits sont-ils vraiment de meilleure qualité hors des États-Unis, et si oui, pourquoi? C’est la question à laquelle nous allons tenter de répondre dans cet article. 

*une chaîne de supermarché américaine relativement moins chère que les autres chaînes
**une autre chaîne, qui vend presque exclusivement des produits biologiques

Nos pratiques agricoles font-elles une différence?

Tout comme dans nos cours de sciences au lycée, nous avons voulu aborder cette question en formulant une première hypothèse afin d'orienter nos recherches. Si le goût reste évidemment subjectif, nous pouvons en revanche analyser les méthodes de production agricole. Est-ce possible que les aliments européens aient meilleur goût en raison de différences dans la manière dont ils sont cultivés?

En prenant comme exemple les politiques d’agriculture biologique, nous avons voulu vérifier s’il existait des différences claires dans la manière dont la production bio est encadrée en Europe et aux États-Unis. Nous nous sommes vite rendu compte que nous ne posions pas la bonne question. 

En effet, face à l’expansion du marché des produits biologiques, l’harmonisation des réglementations entre pays s’est imposée. Pour soutenir le commerce international, plusieurs États ont donc signé des accords d’équivalence garantissant la reconnaissance, la vente et l’étiquetage des produits bio de manière uniforme dans tous les pays signataires.

Bien que l’UE et les US aient quelques désaccords sur ce qui devrait être étiqueté comme biologique (par exemple, les produits hydroponiques sont considérés comme bio aux États-Unis), les deux parties ont signé en février 2012 un accord dans lequel elles s’engagent à reconnaître mutuellement l'équivalence de leurs normes biologiques. Depuis, l’UE a conclu des accords similaires avec l’Argentine, l’Australie, le Canada, le Costa Rica, l’Inde, le Japon, la Nouvelle-Zélande, la Suisse et la Tunisie. 

On peut donc raisonnablement dire que, puisque les produits bio circulent librement entre l’UE et les États-Unis, leurs pratiques agricoles sont trop similaires pour expliquer les différences de qualité ou de goût. Mais qu’en est-il des produits non biologiques? Les différences de production des aliments conventionnels et transformés pourraient-elles jouer un rôle?

Sur les dernières décennies, la tendance pour les agriculteurs conventionnels a clairement été de privilégier le rendement plutôt que la saveur, car un rendement plus élevé génère plus de profits. Aux États Unis, less variétés traditionnelles et sauvages de maïs, de blé et de riz, qui offrent une teneur nutritionnelle plus élevée et davantage de saveur, ont été remplacées par des variétés à haut rendement. Il n’est donc pas totalement faux de dire que le choix des cultures a eu un impact sur le goût de nos aliments. Mais cette évolution n'est pas propre aux US. La globalisation de nos systèmes alimentaires a poussé les agriculteurs du monde entier (y compris européens) à adopter des pratiques similaires, en privilégiant le rendement pour accéder aux marchés mondiaux. 


Réglementations distinctes encadrant les procédés de transformation des aliments

Si la différence de qualité et de goût ne s'explique pas par la façon dont les agriculteurs américains et européens cultivent leurs récoltes, alors la réponse se trouve peut-être dans la transformation des denrées alimentaires. Par exemple, si les techniques de pasteurisation du lait diffèrent légèrement entre les États-Unis et l'Union Européenne, la principale raison des différences de qualité et de saveur du fromage américain et européen est liée à leur transformation. Des additifs sont utilisés dans la production des fromages américains et le processus est de nature industrielle, alors que les fromagers européens ont tendance à utiliser « des méthodes artisanales et traditionnelles, en donnant la priorité à la tradition et au terroir ». De plus, bon nombre d’additifs et colorants alimentaires interdits au sein de l’Union Européenne sont encore utilisés aux États Unis. Ils incluent:

  • Le dioxyde de titane est un additif qui sert d'agent blanchissant dans les produits de boulangerie et les bonbons. Il a été interdit par l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) en 2022 en raison de préoccupations concernant sa génotoxicité, mais il est toujours utilisé dans les « médicaments [...] jusqu’à ce que des solutions de remplacement sûres soient trouvées ».

  • Le parabène de propyle est utilisé dans les produits alimentaires pour lutter contre les champignons et autres germes. Cependant, il a été interdit dans l'UE en 2006 car il a été associé à des déséquilibres hormonaux. À noter que son utilisation reste autorisée pour les cosmétiques et les produits pharmaceutiques.

  • Le FD&C Green No. 3 est un colorant vert utilisé dans les aliments, les médicaments et les cosmétiques aux États-Unis. Il est interdit dans les denrées alimentaires de l’UE, mais reste autorisé en cosmétique sous l’appellation CI 42053

  • Le bromate de potassium sert d'agent de maturation et de conditionneur de pâte pour la farine et le pain. L'UE l'a classé comme cancérogène 1B, ce qui l'exclut de facto de toute utilisation alimentaire.

  • Bien que les hormones ne soient pas des additifs alimentaires à proprement parler (elles sont classées dans la catégorie des médicaments vétérinaires), l'UE a interdit leur utilisation dans la production de viande bovine depuis les années 1980, ce qui n'est pas le cas aux États-Unis. Plusieurs types d'hormones, synthétiques et naturelles, sont encore administrées au bétail américain.

Tandis que l’Union Européenne applique le principe de précaution–interdire les additifs jusqu'à ce que leur innocuité soit prouvée– les États-Unis ont tendance à suivre une approche plus permissive, autorisant leur utilisation jusqu'à ce qu'un préjudice soit démontré. Prenez l’exemple de la classification Generally Recognized as Safe (GRAS, ou “généralement reconnu comme sans danger”): les substances classées comme GRAS peuvent être utilisées comme additifs alimentaires sans faire l'objet d'un examen formel de la part de l’Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux (FDA). 

Cela ne veut pas dire que les produits alimentaires sont parfaitement réglementés dans l’UE. Une étude publiée il y a tout juste 10 jours par Pesticide Action Network Europe révèle que de nombreux vins européens ont été contaminés par l'acide trifluoroacétique (TFA), également connu sous le nom de substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS). 

À l'inverse, des progrès ont été accomplis aux États-Unis, où certains additifs ont récemment été interdits. L'été dernier, la FDA a annoncé qu'elle retirait l'huile végétale bromée de la liste des additifs alimentaires (bien qu’au courant des préoccupations sur la santé depuis les années 1960). Il y a tout juste 3 mois, un type de colorant rouge appelé FD&C Red No. 3 a été jugé dangereux pour la fabrication d'aliments et de médicaments et devrait être complètement retiré du marché d'ici 2027/2028.

Ces interdictions ont un impact direct sur les importations de produits américains et ont conduit de nombreuses marques à adapter leurs formulations au marché européen, voire à développer de nouvelles certifications telles que “le bœuf américain certifié sans hormones”. La seule exception est le poulet au chlore, qui est effectivement interdit depuis 1971 lorsque l’UE a banni les traitements antimicrobiens des volailles.

Examinons de plus près la liste des ingrédients de certains de ces produits de marque et voyons comment ces différences se manifestent. 

Ces résultats vont dans le sens des données disponibles et confirment que les États-Unis sont l’un des principaux consommateurs d’aliments transformés et ultra-transformés (UPFs). Une équipe de chercheurs a mené une étude révélant que 58% des produits de base des principaux supermarchés américains étaient ultra-transformés, soit 41% de plus que leurs homologues européens. Plus important encore, la consommation d’aliments ultra-transformés a augmenté au sein de la population américaine entre 2001 et 2018, ce qui soulève de sérieuses questions de santé publique: de multiples études épidémiologiques mettent en évidence un lien étroit entre la consommation accrue d’UPFs et l’élévation du risque de maladies cardiovasculaires, de diabète, d'obésité et d'effets néfastes sur la santé mentale. 

Conclusion - ce n’est pas si simple!

Que pouvons-nous donc conclure de ces recherches? Pour en revenir à notre question initiale, l'objectif de cet article était d'essayer d’identifier les facteurs qui expliquent pourquoi les produits alimentaires de l’UE ont un goût et une qualité supérieurs à ceux des États-Unis.

Il est vrai que les produits transformés sont davantage réglementés dans l’Union Européenne. Comme le montre notre comparaison de produits, la liste d'ingrédients pour les produits européens a tendance à être plus courte/de meilleure qualité car moins d'additifs sont légalement autorisés. Cependant, la réponse à cette question est moins claire pour les produits non transformés comme les fruits et les légumes. 

Cette différence peut s'expliquer par le fait que les aliments frais et de qualité sont moins chers et plus accessibles dans l'UE qu'aux États-Unis. Les US disposent d'excellents produits (n'importe quelle visite au marché fermier local peut le confirmer), mais l'accès à ces aliments est souvent plus difficile et moins abordable pour le consommateur américain moyen. La majorité des ménages américains font leurs courses dans des supermarchés et hypermarchés (tels que Walmart, Target, Sam’s Club), où les produits frais et de qualité sont souvent moins disponibles et plus chers que les options ultra-transformées. 

Ainsi, lorsque les Américains se rendent en Europe et s'extasient sur la nourriture, une partie de leur admiration tient peut-être moins au goût qu’à la facilité d’accès dont ils ont fait l'expérience. Ils n’ont plus besoin de faire un tour au marché ou une épicerie fine pour trouver une bonne tomate juteuse. Ils peuvent espérer en trouver une dans l'épicerie du coin à un prix raisonnable.  Il en va de même au restaurant: la qualité et la saveur des ingrédients sont souvent supérieures dans l’UE, tout en étant moins coûteux que pour des plats similaires aux États-Unis. 

Le fait est, ce n'est pas si simple! Nous espérons que nos recherches nous apporteraient une réponse claire et précise, et bien non. De nombreux facteurs entrent en jeu, et c’est normal, puisque les systèmes alimentaires sont complexes, et nous comptons bien continuer d’investiguer ces questions en profondeur. 

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