Le régime qui détestait les plantes

Analyse de la récente montée en popularité du
« carnivore diet » et des effets négatifs qui lui sont associés

Crédit: Hazel Zavala

Alors que nous brainstormions nos idées pour le sujet de ce mois-ci (ou remuons nos méninges pour les franco-français ici présents), un thème a particulièrement piqué notre curiosité: l’essor grandissant du « carnivore diet » dans les milieux de la santé et du bien-être. Déconcertés par les contenus liés à cette tendance sur les réseaux sociaux, nous avons jugé utile et important d’en analyser les ressorts plus en profondeur.

Alors que la consommation de produits d’origine animale est soudainement présentée comme bénéfique pour la santé, nous avons voulu comprendre pourquoi ce discours gagne en popularité, et quels en sont les impacts sur la santé humaine et celle de la planète. Après tout, la consommation de viande a été associée à plusieurs maladies chroniques majeures, et l'agriculture animale est l'un des principaux moteurs du changement climatique.

L'essor inquiétant du « carnivore diet »

Avec l’influence grandissante des réseaux sociaux et la vitesse à laquelle les tendances (ou trends) se propagent, un nouveau régime à la mode a envahi nos fils d’actualité: le « carnivore diet », ou régime carnivore. Ce régime–ou plutôt ce mouvement– va à l’encontre de presque toutes les recommandations nutritionnelles, en excluant une grande partie des groupes alimentaires. Les adeptes sont encouragés à remplacer fruits, légumes, céréales, noix et graines par une alimentation exclusivement composée de produits d’origine animale: viande, œufs, graisses animales et produits laitiers (principalement le beurre).

Bien qu’il soit étonnant qu’un régime qui diabolise les plantes suscite autant d'intérêt, ce succès s’explique en partie par la perception qu’ont ses adeptes: celle d’un retour à une alimentation ancestrale, capable de résoudre de nombreux problèmes de santé. Dans The Carnivore Code, qui pourrait s’apparenter au manifeste du régime carnivore, Dr. Saladino affirme que les systèmes alimentaires modernes ont échoué dans leur mission, favorisant la production et la consommation de produits ultra-transformés au détriment de la santé des individus.

Tout comme le « homesteading » ou le « unschooling », tendances émergentes de ces dernières années, le mouvement carnivore exprime une forme d’insatisfaction sociétale qui vise à rejeter la modernité pour revenir à des pratiques plus traditionnelles. Les « meatfluenceurs » (trad. influenceurs de la viande) défendent avec ferveur l’idée que nos ancêtres se nourrissaient presque exclusivement d’animaux, et que nous devrions en faire autant car nos habitudes alimentaires auraient changé trop rapidement pour que nos gènes puissent suivre.

C’est un argument plutôt convaincant lorsque vous l’associez aux dizaines voire centaines d'exemples qui circulent sur les réseaux sociaux, dans lesquels des personnes attribuent à ce régime l’amélioration de leur peau, de leur santé mentale ou encore de leurs troubles gastro-intestinaux. Comment ne pas être convaincu? Dans un monde saturé d’informations et rempli d'incertitudes, la promesse d’une solution simple et rapide qui résoudrait tous nos maux est séduisante. Et à première vue, ce régime coche toutes les cases: il est facile à adopter et semble porter ses fruits chez bon nombre de ses adeptes.

Mais ce n’est pas si simple. Ce que les « meatfluencers » omettent de souligner, c’est que ce mouvement est criblé de fausses informations. L’idée que nos ancêtres se nourrissaient exclusivement de chair animale est inexacte. Il est en réalité impossible de définir un régime alimentaire ancestral unique, tant celui-ci était en constante évolution: les populations vivant en forêt avaient une alimentation différente de celles établies près de l’océan ou dans la savane. Des facteurs tels que le climat, la situation géographique, les capacités de chasse et de transformation des aliments, ainsi que les ressources disponibles, ont largement contribué à la diversité des régimes et habitudes alimentaires. Dans ce contexte, présenter le carnivore diet comme un retour aux sources relève d’une simplification trompeuse, voire manipulatrice. 

Cette logique s'étend jusqu’au domaine médical, où des déclarations médicales non fondées sont largement promues et souvent monétisées par les leaders de ce régime carnivore. Plutôt que de s'appuyer sur des études vérifiées, le mouvement mise sur l’influence des réseaux sociaux et le pouvoir de récits individuels pour rallier de nouveaux adeptes. L’utilisation d’exemples anecdotiques pour justifier des recommandations médicales n’est pas seulement scientifiquement discutable, mais également dangereuse. À ce jour, très peu d’études scientifiques permettant d’appuyer les bienfaits supposés du régime carnivore sur la santé. En revanche, nombreuses sont celles qui démontrent qu'une alimentation riche en produits d’origine animale peut entraîner des carences et nuire à la santé. En éliminant complètement les fruits, les légumes, les céréales complètes et les protéines d'origine végétale, ce régime ne peut tout simplement pas fournir l’apport nutritionnel varié et riche dont le corps a besoin.

Répercussions mondiales

Au-delà de la désinformation véhiculée par ce mouvement et de ses effets sur la santé, ses impacts environnementaux méritent également d’être soulignés. Car oui, la production alimentaire exerce une pression considérable sur les ressources naturelles et les écosystèmes… et certains aliments ont un impact bien plus lourd que d’autres!

Comme le montre le graphique ci-dessous, la production d’aliments d’origine animale génère en moyenne bien plus d’émissions de gaz à effet de serre que celle des produits d’origine végétale– le bœuf étant de loin l’aliment le plus émetteur.

Mais en quoi exactement la viande et les produits laitiers, qui sont au cœur du carnivore diet, ont-ils un impact sur notre climat et notre environnement? Examinons cela de plus près.

Tendances mondiales de production/consommation de viande et de produits laitiers

S’il est facile de critiquer le régime carnivore pour son rôle potentiel dans l’augmentation de la consommation de produits d’origine animale, et donc de son impact sur la planète,  l’intérêt qu’il suscite reste pour l’instant limité à certains pays occidentaux. Cela dit, le fait que ce régime ne se soit pas largement répandu dans le monde n’a pas freiné la demande globale en protéines d’origine animale. En effet, la viande et les produits laitiers constituent une source de protéines essentielle pour une grande partie de la population mondiale, et leur production n’a cessé d’augmenter depuis plus de soixante ans.

Entre 2016 et 2024, la production mondiale de viande a augmenté de 10,6%, passant de 317 millions de tonnes à environ 350,75 millions de tonnes, et devrait atteindre 391,5 millions de tonnes d'ici 2033. Sur cette même période, la production mondiale de lait de vache et de beurre a augmenté de 18,7% et 20,4%, respectivement.

Or, bien que la production ait généralement augmenté, l’offre et la consommation de ces produits varient grandement entre les pays: les pays à faible revenu, en particulier en Afrique et en Asie du Sud-Est, ont les taux de consommation les plus bas, tandis que les pays riches ont tendance à avoir la consommation la plus élevée de produits d'origine animale. Et à mesure que les pays en développement s’enrichissent, leur consommation devrait augmenter elle aussi.

Si nous avons commencé cet article en évoquant certaines des absurdités du régime carnivore, la réalité est que le monde continue de s’orienter vers une alimentation majoritairement basée sur les produits carnés et laitiers, au détriment des alternatives végétales.

Comme nous l’avons montré, cette tendance est préoccupante à plusieurs égards et illustre toute la complexité de la transition vers des systèmes alimentaires plus durables: les populations des pays à faible revenu ont légitimement le droit de se développer et d’améliorer leur accès à une alimentation nutritive, y compris aux protéines d’origine animale.

Dans le même temps, la consommation de ces produits doit diminuer si nous espérons respecter les objectifs climatiques mondiaux. Il revient donc aux pays développés de réduire leur surconsommation, afin d’ouvrir la voie à une transition alimentaire mondiale plus équitable–une transition dans laquelle tous les pays pourront, à terme, adopter des régimes plus sains et plus respectueux de l’environnement.

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