Le déclin du café de spécialité
Comment les effets du changement climatique bouleversent nos habitudes matinales
La science du café de spécialité
Le café de spécialité est un café de haute qualité, évalué selon ce qu’on appelle l’échelle de Q-grading – une norme internationale sur 100 points élaborée par le Coffee Quality Institute au début des années 2000.
- 90–100 points: Qualité exceptionnelle
- 85–89.99 points: Excellente
- 80–84.99 points: Très bonne
- Below 80: Pas de classement et NON considéré comme un café de spécialité
Pour obtenir l’étiquette “spécialité”, les grains de café doivent atteindre un score d’au moins 80 points, sur la base de plusieurs critères tels que l’arôme, la saveur, l’acidité, l’équilibre ou encore la persistance en bouche. Et qui attribue ces notes? Les Q-graders, que certains considèrent comme les sommeliers du café.
Ces experts certifiés sont formés à évaluer la qualité du café avec une précision remarquable. Leur certification repose sur une vingtaine de tests sensoriels destinés à mesurer leur aptitude à identifier les arômes, percevoir les nuances de goût et évaluer la qualité à toutes les étapes de la production, du grain vert (non torréfié) jusqu’à la tasse finale. Aujourd’hui, on ne compte qu’environ 10,000 Q graders agréés dans le monde.
Obtenir un score Q élevé peut considérablement augmenter la valeur d’une récolte, récompensant ainsi les producteurs capables de cultiver des grains réguliers et de haute qualité. Mais ce niveau d’excellence repose sur des conditions de culture très précises: la moindre variation environnementale peut suffire à altérer le profil aromatique du café.
Impacts sur la production de café de spécialité
Tout comme le vin, la production de café de spécialité est très sensible aux conditions climatiques locales, en particulier pendant les phases végétative et reproductive de la plante. L'augmentation des températures et la diminution du régime de précipitations ont des répercussions négatives sur la floraison, la fructification et la qualité des grains. Les caféiers ont besoin d’un climat stable pour s’épanouir. Au-delà d’une certaine chaleur, leur croissance ralentit et ils deviennent plus vulnérables aux maladies et aux ravageurs. Leur survie dépend aussi de régimes de pluie réguliers: sans eau suffisante, les plants se dessèchent rapidement et finissent par dépérir.
Bien que la baisse de rendement soit une conséquence évidente des dérèglements climatiques, les changements dans les cycles de floraison et de maturation entraînent également des variations de goût et d’arôme d’une récolte à l’autre. Pour les producteurs de café de spécialité, ces variations sont loin d’être anodines, car de légères imperfections dans les grains peuvent suffire à faire baisser la note Q d’un café et, par conséquent, sa valeur sur le marché. Dans ce contexte, les méthodes de culture traditionnelles ne garantissent plus nécessairement les meilleurs résultats.
Cela a d’importantes répercussions socio-économiques, car la majorité des producteurs de café de spécialité sont de petits exploitants qui dépendent entièrement de cette culture pour subvenir à leurs besoins. À mesure que les conditions climatiques deviennent plus imprévisibles, beaucoup d’entre eux se retrouvent sans les ressources financières ou technologiques nécessaires pour s’adapter efficacement. Les mesures d’adaptation, comme la plantation d’arbres d’ombrage ou l’installation de systèmes d’irrigation, restent souvent hors de portée pour ces communautés. Sans un soutien accru des gouvernements et des institutions financières, la durabilité à long terme de la production de café de spécialité est sérieusement menacée.
L’envers du café
À l’échelle mondiale, le café est la deuxième marchandise la plus échangée après les produits pétroliers. Sa production a augmenté de façon constante au cours des dernières décennies: elle est passée d’environ 4,5 millions de tonnes en 1961 à plus de 11 millions de tonnes en 2023, soit une hausse de 40,9 % selon les données de la FAO. Pourtant, derrière cette croissance se cache une série de défis de plus en plus pressants, qui vont bien au-delà des simples changements de goût et d’arôme.
Avec l’intensification des pressions climatiques, la rareté de l’eau devient une préoccupation majeure dans de nombreuses régions productrices de café: on estime qu’il faut environ 140 litres d'eau pour produire une seule tasse. Dans un monde idéal, les impacts du changement climatique seraient répartis équitablement entre tous les acteurs d’une chaîne d’approvisionnement mondialisée. Mais dans le cas du commerce du café, la hausse de la demande des consommateurs dans les pays développés se traduit par une exploitation disproportionnée des ressources naturelles dans les pays du Sud, aggravant la pression sur des bassins hydriques déjà fragilisés.
La géographie de la culture du café évolue elle aussi: les exploitations se déplacent vers des altitudes ou des latitudes plus élevées, à la recherche de conditions plus fraîches et plus stables – à l’instar des producteurs de vin. Mais ces déplacements s’accompagnent de compromis complexes: l’expansion de la production dans de nouvelles zones peut créer des tensions entre les objectifs de reforestation, de préservation de la biodiversité et de développement agricole. En effet, la déforestation – notamment à travers le changement d’affectation des terres forestières – accroît les émissions de gaz à effet de serre, perturbe le cycle de l’eau, assèche les sols et freine la croissance des végétaux. Comme souvent en matière d’adaptation au changement climatique, les solutions ne sont jamais aussi simples qu’elles n’y paraissent.
Regard vers l’avenir
Alors que les réalités du changement climatique redéfinissent les lieux et les conditions de culture du café, la définition même du terme “spécialité” pourrait, elle aussi, devoir évoluer. Maintenir des normes de qualité strictes dans un monde qui se réchauffe exigera non seulement des innovations scientifiques et de nouvelles pratiques agricoles, mais aussi une reconnaissance du savoir-faire, de la créativité et du soin qui permettront à cette culture de perdurer.
Malgré l’importance économique mondiale du café, les investissements consacrés à la recherche et au développement agricoles dans ce secteur demeurent particulièrement faibles. Dans les pays du Sud, ils sont estimés à 115 millions de dollars par an, dont 90 % proviennent du secteur public et seulement 10 % du secteur privé – soit 0,0048 $ (moins d’un demi-centime) pour chaque dollar de café produit dans le monde.
Pour les petits producteurs qui dépendent de la culture du café de spécialité pour faire vivre leur famille, ce manque de soutien financier limite gravement leur capacité à s’adapter aux pressions du changement climatique. Les entreprises qui tirent profit de leur travail doivent prendre leur part de responsabilité et inverser cette tendance si elles souhaitent continuer à approvisionner le marché durablement.
Credits: Image 1 - Dwayne Badua; Image 2 - René PorterM; Image 3 - PROJETO CAFÉ GATO-MOURISCO; Image 4 - Karl Fredricksona