Trop de labels, trop peu d’impact?

L’essor complexe des éco-labels sur les produits alimentaires

Aperçu de la diversité des éco-labels pour les produits alimentaires.
Auto‑réalisé; photos provenant de Google Images

Pour quiconque s'intéresse à la durabilité des systèmes alimentaires, parcourir les allées d'un supermarché est une expérience assez singulière. En plus des étiquettes nutritionnelles auxquelles nous sommes habitués, de nombreux produits se voient désormais apposer des labels environnementaux. Ces labels, plus communément appelés “éco-labels”, permettent de distinguer un aspect spécifique du produit, telle que la méthode de production (ex: biologique, régénérative) ou l’impact environnemental mesuré tout au long du cycle de vie de ce produit (empreinte carbone, consommation d'eau, etc.).

Contrairement au prix ou au goût, les critères des éco-labels ne peuvent pas être évalués seuls : ils nécessitent des informations complémentaires. Sans étiquette, par exemple, il serait quasiment impossible de savoir si une tomate choisie au rayon fruits et légumes est issue ou non de l’agriculture biologique. Ce phénomène économique, appelé asymétrie d’information, décrit une situation où un agent économique (le producteur) détient plus d’informations qu’un autre (le consommateur).

C’est là qu'entrent en scène les éco-labels. Le concept n'est pas nouveau (le premier a vu le jour en 1978), mais il a pris une ampleur considérable ces dernières années: de nombreuses organisations, publiques comme privées, cherchent à capter l’intérêt croissant des consommateurs pour la santé, le bien-être et le développement durable. Aujourd’hui, il existe plus de 430 éco-labels à travers le monde, dont 147 liés à l’alimentation.

Aperçu de la diversité des éco-labels pour les produits alimentaires.
Auto‑réalisé; photos provenant de Google Images

Au vu de cet intérêt grandissant, on pourrait penser que ces labels ont réussi à inciter les consommateurs à faire des choix plus vertueux, puisqu’ils ont pour rôle de réduire les asymétries d’information. Plus d’informations devraient logiquement permettre de faire des choix plus éclairés. Or, les études sur le comportement des consommateurs montrent que ce n’est pas forcément le cas. Mais pourquoi?

Une communication insuffisante

De manière générale, les éco-labels peinent à influencer le comportement des consommateurs car ces derniers ne comprennent pas les informations que le label tente de communiquer. Souvent, l’attribut précis représenté par l’éco-label est un terme ou une valeur qui leur est peu familier. Comparées aux valeurs présentes sur les étiquettes nutritionnelles (protéines, sucres, calories), les notions de consommation d’eau, d’émissions de gaz à effet de serre ou d’agriculture régénératrice sont moins répandues.

Prenons l’exemple de la société Quorn, qui, en 2020, est devenue une des premières grandes marques à introduire l'étiquetage de l'empreinte carbone sur ses produits. Leurs efforts pour mettre en avant la réduction des émissions de gaz à effet de serre est certes louable, mais afficher “0,16 kg CO₂e par portion” reste difficile à interpréter. Un consommateur qui ne connaît pas les principes du calcul d’empreinte carbone ne peut ni juger si ce chiffre est élevé ou faible, ni le comparer à d’autres options.

Exemple d’un label d’empreinte carbone sur un paquet de viande végétale Quorn.

Manque de crédibilité

Cependant, quand bien même l’information d’un label serait facile à comprendre, des problèmes de confiance limitent son impact envers les consommateurs. En effet, la confiance diminue lorsque la crédibilité de l'organisation qui a émis l’éco-label est inconnue, comme c'est le cas pour de nombreux nouveaux labels apparus sur le marché ces dernières années. Ce n’est pas pour dire que le travail produit par ces organismes est douteux, mais qu’il faut du temps pour instaurer la confiance et obtenir l’adhésion des consommateurs.

Le label bio aux Etats-Unis est un bon exemple. D’un côté, il existe le label USDA Organic: une certification du gouvernement en place depuis 2002. De l’autre, le label Real Organic Project: une certification plus récente créée par des agriculteurs en 2018. Ce dernier est apparu en réponse à la décision de l’USDA (le Département de l’Agriculture des Etats Unis) d'autoriser les produits cultivés en hydroponie et le bétail élevé en confinement à être certifiés biologiques.

Label Bio USDA et le label bio du Real Organic Project.
Source: USDA; Real Organic Project

En exigeant que les produits soient cultivés dans le sol et que le bétail soit élevé en pâturage, le label du Real Organic Project est non seulement plus strict que celui de l'USDA, mais il reflète aussi, dans bien des cas, plus fidèlement les valeurs fondamentales de l’agriculture biologique : donner la priorité à la santé des sols et à la protection de l’environnement.

Malgré cela, le label n’a pas réussi à s’imposer auprès des consommateurs, faute de notoriété et d’ancrage institutionnel. Consciemment ou non, les gens privilégient les labels qu’ils connaissent déjà, même si ceux‑ci présentent parfois des défauts


Peurs d’éco-blanchiment

Comme la crédibilité, l’intégrité d’un éco-label est tout aussi cruciale face aux préoccupations croissantes liées à l'éco-blanchiment (ou greenwashing) des entreprises. En l’absence de régulation claire des éco-labels, des termes comme “vert”, “régénératif” et “neutre en carbone” peuvent être employés à tort et à travers sans qu’une certification tierce indépendante soit requise.

De ce fait, il devient tentant pour les entreprises de mettre en avant le caractère prétendument durable de leurs produits et d’en faire un argument marketing. Il suffit de regarder certains des plus grands conglomérats alimentaires mondiaux (Nestlé, Unilever, General Mills, Walmart et PepsiCo), qui vantent des pratiques régénératives malgré le manque de preuves solides. Ce que font ces entreprises n’est pas illégal en soi, mais cela contribue à une surabondance d’éco-labels sur le marché.

Rien qu’aux États-Unis, il existe actuellement huit éco-labels différents qui certifient des produits cultivés selon des pratiques d’agriculture régénérative. Si la diversité sur le marché est importante, multiplier des labels représentant le même concept ne fait qu’accroître la confusion et le scepticisme.

Et après? Recommandations pour les organisations et les consommateurs

Les écolabels pourraient, en théorie, jouer un rôle clé dans la transition vers une alimentation plus durable. Cependant, dans leur forme actuelle, la majorité ne parvient pas à toucher les consommateurs. Pour répondre aux problèmes de communication, de crédibilité et d'écoblanchiment, les organisations impliquées dans le développement de ces écolabels pourraient adopter les recommandations suivantes:

  1. Collaborer avec des organisations qui ont des objectifs similaires afin de réduire le nombre d’éco-labels sur le marché. Cela mènerait non seulement à moins de confusion, mais pourrait aussi accroître la confiance des consommateurs, puisqu’ils soutiendraient un label porté par un collectif d’organisations. Il serait particulièrement pertinent de limiter le nombre d’éco-labels dans des domaines tels que l’agriculture régénérative, le bien-être animal et l’empreinte carbone.

  2. Repenser les labels pour mieux mettre en valeur le message qu'ils cherchent à faire passer. L’utilisation d’indices visuels comme un code couleur de type feux de circulation ou des symboles a montré qu’elle aidait les consommateurs à percevoir l’importance du label. En particulier, une étude analysant différents formats d’étiquetage de l’empreinte carbone a révélé que les consommateurs réagissent plus favorablement à un code couleur qui leur permettent de comparer rapidement des produits de la même catégorie.

  3. Augmenter les investissements marketing autour des éco-labels permettrait de répondre aux préoccupations en matière de communication et de transparence. Cela devrait, espérons‑le, aider les consommateurs à mieux comprendre ce que ces labels représentent et à faire des choix plus éclairés.

Graphique présentant différents designs d’empreinte carbone utilisés pour tester les préférences des consommateurs.
Source: Consumer Preferences for Different Designs of Carbon Footprint Labelling on Tomatoes in Germany—Does Design Matter? https://www.mdpi.com/2071-1050/11/6/1587

Les consommateurs ont également un rôle à jouer dans la compréhension des éco-labels. Voici quelques conseils pratiques pour vous aider à vous y retrouver lorsque vous faites vos courses:

  1. Faites vos recherches. C’est probablement le conseil le plus important, et celui qui prend le plus de temps. En creusant un peu, vous comprendrez ce que signifie le label et sur quels critères il se fonde. Une recherche Google peut être suffisante, mais si vous trouvez que c’est trop d’efforts, il existe des applications telles que 3CO ou Eco Label Guide qui vous permettent de scanner le label pour plus d’informations. Bien qu’elles ne soient pas parfaites, elles vous donnent un aperçu rapide de la signification d’un label! Cependant, il est préférable de passer un peu plus de temps à explorer le site web du label pour obtenir les informations les plus détaillées possibles.

    Lorsque vous faites vos recherches, pensez à:

  2. Favoriser la transparence. Cherchez des labels qui expliquent clairement leurs critères et processus de vérification, sont audités par une tierce partie, et fournissent des informations traçables. Si un label ne dit rien sur la façon dont il est vérifié, il faut prendre ses affirmations avec prudence.

  3. Comparer des labels similaires. Ne jugez pas un label seul: comparez‑le à d’autres labels aux revendications similaires pour en repérer les différences (par exemple, en quoi ces huit éco-labels régénératifs mentionnés plus tôt sont‑ils réellement différents?). De cette façon, vous pourrez déterminer vous‑même lesquels correspondent le mieux à vos valeurs et à ce que vous recherchez dans un produit.

Nous espérons réaliser une analyse approfondie des nombreux écolabels présents sur le marché – en particulier de leurs processus de certification – dans un prochain numéro de Who Wants Seconds? afin de mieux accompagner nos lecteurs et lectrices dans leur processus de décision.

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